Si seulement je pouvais m’évanouir…

J’écris tout cela d’une traite sur mon portable une nuit d’insomnie, entre les réveils de mon bébé. Je ne sais pas si tout sera clair… mais voici ce que j’ai vécu lors de mon accouchement.

Après avoir perdu les eaux à midi, le travail se déclenche le soir. Les contractions sont tout de suite aiguës et extrêmement rapprochées, comme lors d’une fin de travail. Après avoir insisté, je descends seule en salle d’accouchement. Une sage-femme est de garde et vient me voir de temps en temps, constatant que les contractions ne modifient pas le col. Ma tension grimpe au fil des heures tant la douleur est forte et presque incessante. De plus, j’accouche « des reins ». Un bain m’est proposé, mais il ne change rien, et à aucun moment on ne me conseille une autre position que celle allongée, qui permet le monitoring.

À l’aube, je craque en dépit de mon projet très cher d’un accouchement physiologique. Mon col ne bouge pas et les contractions ne me laissent pas de répit. Ma tension grimpe de plus en plus. L’anesthésiste arrive et me pose la péridurale. Je suis affligée mais sens que je n’ai plus le choix. Ma tension descend suite à l’effet de la péridurale et mon col parvient enfin à bouger de manière encourageante. Mais rapidement, la péridurale cesse de faire effet.

Le matin, un nouveau sage-femme arrive. Il constate que le col est assez ouvert pour espérer un accouchement vers midi. Cependant, cela avance très lentement. Comme la péridurale avait cessé tout effet, il va tenter de me donner plusieurs autres doses, en vain. Vers midi, le col est plus ou moins assez dilaté mais le bébé ne descend toujours pas. Les contractions, elles, restent aussi rapprochées et intenses qu’au début du travail, ma tension est redevenue très élevée.

Le sage-femme propose de m’aider à changer de position (je rappelle que la péridurale ne fait aucun effet et que même avec elle j’étais mobile, mais c’est la douleur qui me clouait allongée), me mettant accroupie. Il montre aussi à mon conjoint comment appuyer en bas de mon dos à chaque contraction puisque c’est bien au dos que la douleur me fait le plus souffrir. Suite à ces deux avancées, je vais déjà bien mieux et regrette amèrement que cela n’ait pas été entrepris plus tôt puisque j’aurais pu respecter mon projet de naissance…
Mais peu de temps après, l’obstétricien arrive. Visiblement, je dois accoucher maintenant. Pourquoi ? Je ne sais pas. La salle doit être libérée, peut-être ? Le bébé n’est toujours pas descendue et je n’ai pas du tout envie de pousser, mais qu’importe !
À partir de ce moment là, le vrai cauchemar commence. D’ailleurs, mon stress grimpe d’un coup.

Le sage-femme me fait me mettre en position gynécologique malgré mon regret explicite de ne pas pouvoir rester accroupie. Il affirme que l’accouchement sera plus simple ainsi du fait de ma péridurale… qui est sans effet depuis des heures.
Je ne sais pas pourquoi je ne proteste pas… je n’ose pas. Je me sens stressée par leur empressement. Je ne suis pas bien… D’ailleurs, les contractions s’arrêtent presque totalement ! Et le peu que j’ai est tellement faible qu’on pourrait dire qu’elles sont inexistantes.

Le sage-femme masse mon périnée avec du savon liquide, ce qui me fait mal. On me fait quand même pousser, et l’obstétricien critique mes poussées inefficaces. Il faut dire que la position, l’absence de contractions et le fait que je doive faire descendre un bébé qui n’était visiblement pas prêt à descendre n’aident pas !

Malgré tout, j’arrive à faire descendre le bébé. Mais pas encore assez… L’obstétricien dit qu’il va utiliser les spatules. Paniquée, je demande si on a rajouté de l’ocytocine à ma perfusion – oui, je suis encore prête à rogner sur mon projet de naissance. Mais on me dit que ça a, bien sûr, déjà été fait… Donc sans me le demander et depuis je ne sais combien de temps.

Enfin, l’obstétricien souhaite faire des compressions avec ses mains sur mon ventre et, désespérée, j’accepte. Mais la douleur est trop insoutenable et je lui demande d’arrêter. Mon conjoint m’apprendra plus tard qu’il allait continuer mais qu’il a arrêté son geste car mon compagnon a tendu la main vers son bras pour l’arrêter.
On voit enfin le haut du crâne de mon bébé suite à mes efforts, mais il ne passe pas. Après quelques poussées hors toute contraction, l’obstétricien s’installe entre mes jambes à la place du sage-femme, ordonne à mon compagnon de regarder ailleurs et pratique une épisiotomie à vif. Sans m’avoir prévenue, rien. Le bébé était en détresse respiratoire. Peut-être aurait-il été bon de me laisser accoucher en temps voulu et dans des conditions humaines afin que ce ne soit pas le cas ? Non ?

Je crie. Le bébé sort d’un coup, me coupant le souffle, et il m’est presque jeté sur le ventre tandis que l’obstétricien me recouds tout de suite, toujours à vif. Je suis perdue, entre l’émotion de voir mon bébé et la douleur, la torture entre mes jambes. Bien sûr, on ne me laisse même pas voir le cordon au moment où mon conjoint le coupe et on ne laisse pas le bébé bénéficier d’un peu de temps avant cela : non, c’est fait dans une rapidité incroyable.

Après avoir recousu, et selon le témoignage de mon compagnon (car je ne ressens plus qu’une zone de douleur entre les jambes), l’obstétricien tire sur le cordon ombilical avec insistance. Jusqu’à ce qu’un morceau de placenta sorte. Oui, juste un morceau. Il faut donc aller chercher le reste. Et là, il entreprend tout de suite une révision utérine… à vif. La douleur m’arrache des cris et je demande à ce que mon bébé, encore dans mes bras, soit amené ailleurs. On me répond qu’il n’y a pas besoin et alors je tend le bébé à son père et lui dit de partir avec lui. Le bébé se met à pleurer.

Aujourd’hui encore, quand il pleure, je revis ce moment où j’ai dû l’éloigner de moi suis rapidement. Mais ce qui va suivre va être trop horrible, il ne doit pas être là. Mon conjoint et une sage-femme vont alors lui faire ses premiers soins.

Quant à moi, la torture peut recommencer. Je ne savais pas qu’on pouvait autant souffrir, que le corps était capable d’endurer pareille horreur sans lâcher. Le sage-femme me tient la main, j’étouffe autant que possible mes hurlements tandis que l’obstétricien a l’indécence de me demander de cesser de bouger autant. Il peine et râle. Doit y retourner. C’est finalement terminé. Enfin… il faut encore recoudre de nouveau… Je n’en peux juste plus. Si seulement je pouvais m’évanouir, mais non.
Suite à cela, j’ai l’impression d’être nulle, vide… Et j’ai terriblement mal. Je me sens faible. Mais il y a mon bébé qui revient. On m’aide à le mettre au sein. Mais très vite, ma faiblesse empire. Ma tension baisse. Je perds du sang et régulièrement on vient appuyer sur mon ventre d’où encore plus de sang s’échappe. Ma tête tourne, je suis incapable de m’occuper de mon bébé, ni même de le contempler. Rien. Je dois même accepter qu’ils le nourrissent eux-mêmes… j’apprendrai plus tard que ça aurait pu attendre, mais là on commence une autre histoire : celle de la difficulté que j’aurai à allaiter à la clinique.

Pour revenir à cet après-midi, j’ai beau dire que j’ai encore très mal, on me répond que c’est normal. Je suis faible et mes oreilles bourdonnent, j’ai la nausée… En fin d’après-midi, dans tout ce nid de douleurs, une chose parvient enfin à se préciser à mon esprit ; j’ai besoin de pousser. Je pense avoir besoin d’aller à la selle, un besoin impérieux. On me met une sonde urinaire et une de ces espèces de petites bassines pour faire ses besoins allongée, puisque je suis incapable de bouger. Rien n’y fait. Finalement, une sage-femme accepte de tenter de m’amener aux toilettes, mais dès qu’on me redresse je fais un malaise. Ma tension chute encore.

Mon conjoint n’a pas le droit de rester la nuit. Cela aurait pourtant permis que mon bébé reste au moins dans la même pièce que moi. Mais il rentre à la maison et je suis ramenée dans ma chambre, séparée d’un bébé qui m’était de toute façon inaccessible même visuellement à cause de mon état.

Dans la chambre, le soir, je suis toujours incapable de bouger sans faire un malaise. J’ai toujours ce besoin de pousser et une sage-femme finit par arriver pour m’aider à aller aux toilettes. Mais elle doit elle aussi constater que je ne peux pas me relever. Ma tension a encore baissé. Elle pratique une nouvelle compression sur mon bas ventre, comme j’en ai eu plein les heures précédentes. Mais là, ce n’est pas qu’une flaque de sang qui sort, mais plusieurs jets abondants. Il y en a partout.

Affolée, elle appelle ses collègues. Il faut me redescendre en salle d’accouchement et appeler l’anesthésiste. Je crains une nouvelle révision utérine et pleure, panique, supplie… je ne veux pas. En bas, elles commencent à aller chercher de longs filets membraneux tandis que je me tords de douleur. L’envie de pousser est apaisée.
L’obstétricien arrive, le même que pour l’accouchement… Il doit refaire une écho tandis que l’anesthésiste lui parle déjà de RU. Je suis désespérée… L’obstétricien nie d’abord le besoin d’en refaire une avant de devoir y céder en m’accusant de cette nécessité ; c’est de ma faute s’il reste quelque chose car j’étais trop énervée lors de la première !

Je demande à ce qu’on prévienne mon conjoint. J’entends qu’on dit qu’il ne faut surtout pas l’inquiéter pour qu’il ne vienne pas.

On me dit que cette fois-ci, on m’endormira. Mais alors que j’espère une anesthésie générale, l’anesthésiste, juste avant de m’injecter le produit, m’annonce que je ne serai pas endormie mais que je serai comme dans un état second pour ne pas trop sentir la douleur ! Et, en effet, c’est peu dire. Non seulement je sens la douleur mais en plus je fais le plus gros bad trip possible. Je me sens partir, je lutte pour que ma conscience ne se noie pas dans un tunnel de voix atrocement fortes et métalliques, je m’entends protester au loin… rien n’y fait. Je sens que je meurs.
Au « réveil », je m’inquiète pour mon bébé et demande à plusieurs reprises s’il va bien.

J’ai terriblement mal tandis qu’on me passe une sonde urinaire dans ce nid de douleurs. J’apprends qu’on m’a encore recousue. Je demande un anti douleur, mais on me dit qu’il y a plus urgent. En effet, tout le monde s’affaire autour de moi. Il faut urgemment me transfuser. Je comprends à demi mots de leur part que j’ai failli y passer, que j’ai perdu beaucoup de sang durant l’intervention.

Les sages-femmes ont un geste très gentil, puisqu’elles m’amènent mon bébé. Sur le coup, c’est comme si je le voyais pour la première fois… On me rassure. C’est fini.

Enfin.

Sauf que les jours suivants seront affreux. Je récupère difficilement. Les douleurs resteront intenses. Ma cicatrice me fera souffrir terriblement.
La montée de lait n’arrive pas… et au lieu de me faire mettre le bébé au sein au maximum, on lui donne beaucoup de compléments. Il dort très peu, pleure beaucoup et a tout le temps besoin des bras.

Je reste une semaine à la clinique. J’ai toujours aussi mal. Mon hémoglobine reste très basse le jour de la sortie. Le sage-femme me fait passer une échographie… et c’est l’horreur. L’échographe passe par le vagin. Je me tords de douleur et elle finit par devoir arrêter l’examen sans résultats probants.

Lors du passage, chez moi, de sages-femmes à domicile, j’apprendrai à quel point ce que j’avais subi était intolérable. Mais aussi que j’avais été bien étrangement recousue et que mes points avaient en partie cédé… Grâce à elles, j’ai pu bien mettre en place mon allaitement, simplement en me faisant confiance et en mettant mon bébé au sein à la demande.

Aujourd’hui, bientôt quatre mois après ce jour, j’ai encore très mal. Ma cicatrice saigne encore parfois. Mon vagin est douloureux, j’ai des saignements et des douleurs dans l’utérus, dans lequel un fibrome s’est créé.

Psychologiquement, je suis traumatisée. Quand bébé arrive enfin à dormir, l’accouchement revient me hanter. Je suis en colère. Encore plus parce que je n’ai pas su me défendre, défendre aussi le droit de mon bébé à naître dans de bonnes conditions. Car il ne va pas bien non plus.

Bien sûr, toute vue sexuelle est inenvisageable. Je ne sais même pas si j’arriverais à donner un petit frère ou une petite sœur à mon fils, alors même que je rêve d’une famille nombreuse.

Le « pire », peut-être, ou en tout cas ce qui m’enrage le plus, c’est que j’ai remercié. J’ai remercié tout le monde. Même l’obstétricien. Et plusieurs fois.

Aujourd’hui, ma gynécologue veut que je me fasse aider. Mais si j’en comprends la nécessité, j’ai surtout au fond de moi un besoin qui restera inassouvi ; celui d’obtenir justice.

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